Préparation de Pauline dV. :
La comparaison entre « Aurélien » de Louis Aragon et les incipits étudiés précédemment met en exergue la rupture littéraire que représente le XXème siècle. C’est en effet une période de transition qui voit le surréalisme dominer peu à peu le réalisme et le naturalisme, mouvements majeurs du XIXème siècle. Cela se traduit par de nombreuses différences, tant sur le fond que sur la forme des écrits.
Pour commencer, Aragon transgresse les règles de l’incipit traditionnel en nous présentant un début de roman qui joue difficilement son rôle informatif et qui n’introduit pas l’histoire. Le cadre spatio-temporel est pratiquement absent. L’auteur ne répond ainsi qu’implicitement et de façon peu détaillée à deux questions principales que se pose le lecteur : « où ? » et « quand ? ». Toutefois, il est possible de deviner que le roman se déroule en France grâce à l’évocation de « Bérénice », tragédie de Racine et à la présence des prénoms français : « Aurélien » (l.1), « Jeanne ou Marie » (l.8). Concernant l’époque, nous pouvons penser que l’histoire commence après la guerre mentionnée à la ligne 11, certainement la Première Guerre Mondiale (1914-1918) puisque les « tranchées » (l.11) sont citées. D’autre part, Beyrouth, capitale du Liban, était un « territoire sous mandat » (l.18) français de 1920 à 1946, ce qui confirme notre supposition quant au contexte historique. Par ailleurs, l’identité précise d’Aurélien, le héros éponyme, n’est pas fournie dans la mesure où seul son prénom est donné. Nous sommes directement plongés dans ses pensées, plus importantes pour le mouvement surréaliste que sa description.
En outre, le portrait très péjoratif et vague de Bérénice brossé par le narrateur indique qu’il s’agit d’une focalisation interne, lorsque les travaux réalistes privilégiaient plutôt la focalisation zéro pour plus de précision. Le champ lexical de la laideur avec « laide » (l.1), « terne » (l.5), « mal tenus » (l.5), «petite, pâle » (l.8) ; l’emploi de verbes d’opinion tels « trouva » (l.1), « déplut » (l.1), « aima » (l.2); ainsi que les imprécisions du type « blonde ou brune » (l.6) et « je crois » (l.8) rendent impossible l’hypothèse d’un narrateur omniscient en trahissant la subjectivité du texte. Cela nous amène aussi à remarquer que la troisième personne du singulier employée au début de l’extrait laisse parfois inexplicablement place au « je », marquant la singularité de cet incipit par rapport à ceux de « Madame Bovary » ou « Germinal ».
De plus, Aragon révolutionne la stylistique par de nombreux aspects. Tout d’abord, l’utilisation d’un registre de langue plutôt courant et de tournures même familières est notoire avec, par exemple, « moricaude » (l.18), « en veux-tu en voilà » (l.19), « des tas de chichis » (l.19), « ça demande » (l.5) ou encore « ça lui remettait dans la tête » (l.10) qui relèvent plutôt du langage oral. La concordance des temps est de surcroît très particulière puisque nous trouvons à la fois le système du passé avec de l’imparfait, du passé simple, du plus-que-parfait et du subjonctif imparfait comme l’attestent les verbes « avait » (l.2), « trouva » (l.1), « avait […] regardée » (l.6), « fût » (l.8) mais aussi le système du présent avec « je crois » (l.8). Cette superposition de différents systèmes verbaux est pour le moins inattendue. Quant à la structure des phrases, elles sont courtes voire nominales pour certaines « Mais Bérénice » (l.9), « Drôle de superstition » (l.9), « Tite. Sans rire. Tite. » (l.25). Le discours indirect libre et des questions rhétoriques « Pourquoi ? » (l.15) sont utilisés. Tous ces éléments donnent une certaine dynamique, un rythme saccadé, rapide et un naturel qui contrastent avec les textes réalistes à la syntaxe juste, à la grammaire parfaite et au lexique précis finalement peu vivants car trop détaillés.
En conclusion, les nombreux éléments divergents entre la littérature du XIXème et celle du XXème siècle sont sans aucun doute dus au mouvement dans lequel elle s’inscrit. Lorsque le réalisme décrivait minutieusement le réel employant un langage soutenu et documenté, le surréalisme, lui, a pour particularité de faire appel avant tout au rêve, à l’imaginaire, à la pensée de chacun et vise à libérer la création de toute contrainte, de toute logique. En somme, il s’agit d’une véritable « dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale» comme le dit André Breton et comme l’illustre si bien Aragon dans son roman « Aurélien ».
Pauline dV., 2nde section internationale, octobre 2011.
Préparation de Nouha K. :
Dans l’incipit d’Aurélien de Louis ARAGON, on remarque plusieurs différences avec les deux autres textes précédemment étudiés : Madame Bovary de Gustave FLAUBERT et Germinal d’Emile ZOLA.
La première différence est la date d’écriture. Aurélien a été écrit au XXème siècle donc durant le mouvement du Surréalisme tandis que les deux autres ont été écrits durant le XIXème siècle donc durant les mouvements du Réalisme et du Naturalisme.
Tout d’abord on constate qu’on ignore où a lieu la rencontre d’Aurélien et Bérénice, seul le paratexte nous indique qu’elle a lieu à Paris. Mais il faut savoir que le paratexte n’existe pas dans le roman. On peut supposer que l’action se passe en France grâce, aux prénoms « Aurélien », « Bérénice », « Jeanne », ainsi qu’à la référence à la littérature française : la tragédie classique du nom de « Bérénice » écrite par Racine. Le cadre spatial est très imprécis tout au contraire des incipits précédemment étudiés dans lesquels nous avions beaucoup plus d’informations, par exemple : « à l’étude », « le maître d’études », « en classe » pour Madame Bovary et « Marchiennes à Montsou », « champ de betteraves » pour Germinal.
Le manque d’indications sur le lieu s’observe également pour les indications de temps qui sont elles aussi minoritaires. On sait tout de même que c’est « la première fois qu’Aurélien vit Bérénice » et qu’on se trouve en période d’après guerre : « la guerre » (l.11), notamment après la Première Guerre Mondiale « dans les tranchées », « démobilisé » (l.11). L’action se passe donc au XXème siècle, siècle durant lequel vécu l’auteur, Louis Aragon. Madame Bovary ainsi que Germinal contenaient une fois de plus un nombre d’indications supérieur : « en cinquième », « à deux heures » (Madame Bovary) « la nuit », « mars » (Germinal).
De même que le cadre spatio-temporel peu précis, la description de Bérénice est, elle aussi vague et incertaine. Elle peut même être considérée comme fausse car Bérénice nous est décrite d’après la subjectivité (donc une focalisation interne) d’Aurélien qui, ajouté à cela, en garde un souvenir assez flou : « n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune », « il l’avait mal regardée » (l.6). Elle y est présentée de manière médiocre : « franchement laide » (l.1), « cheveux ternes » (l.5) et est même décrite à travers d’un vers de Racine « même pas un beau vers » et « dont la beauté lui semblait douteuse » (l.11-12). Cette médiocrité des personnages se retrouve chez les auteurs réalistes et naturalistes. Il y a même un contraste entre le prénom « Bérénice » qui est un prénom de princesse d’Orient et l’image donnée à Bérénice par Aurélien : « celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût » (l.3-4). Pour ce qui est de Aurélien, le narrateur, nous n’avons aucun portrait physique et pour ce qui est du portrait psychologique on sait seulement qu’il est obsédé par un vers de Racine.
Cependant dans le second paragraphe, Aurélien s’égare dans ses pensées (signe distinctif propre au surréalisme) et s’interroge sur l’histoire de Bérénice de la tragédie classique écrite par Racine. Il juge tout aussi péjorativement Bérénice : « assez moricaude » (l.18) ainsi que Tite : « un bellâtre potelé » (l.24). Sa réflexion se traduit par l’utilisation de phrases nominales : « Brune alors, la Bérénice de la tragédie » (l.17), « Territoire sou mandat » (l.18) ainsi que des points de suspensions ,qui marquent son hésitation et la confusion de ses pensées désordonnées, mais aussi de nombreuses répétitions : « étoffe » qui est répétée trois fois, « vers » qui est répété cinq fois et même « obséder » qui est répété deux fois. Au contraire des autres textes où les phrases étaient longues, construites et structurées, ici les phrases sont courtes et ont un rythme saccadé.
Pour conclure cet incipit diffère des textes précédemment étudiés autant sur le fond que sur la forme. Il va à l’encontre des codes romanesques établis et apporte peu de réponses aux questions que le lecteur se posent au début de sa lecture (« où ? », « quand ? », « qui ? »), c’est-à-dire que le cadre spatio-temporel ainsi que les personnages sont encore inconnus. Cela produit un effet de suspens et peut donner l’envie au lecteur d’en savoir plus. En ce qui concerne la forme, principalement dans le second paragraphe les phrases sont incomplètes, nominales et même parfois des mots-phrases : « Tite » (l.25) et l’auteur, pour aller encore plus loin dans la transgression, utilise même du registre familier : « chichis » (l.19), « le type », « le bougre », « le flemmard ». De plus on remarque qu’une phrase sépare les deux paragraphes : « Je demeurai longtemps errant dans Césarée ».
Nouha K., 2nde section internationale, octobre 2011.